NOTES

 

Cette dernièe formule exceptée, tout le paragraphe a sa source dans le Dictionnaire de Chaudon et Delandine:

« I. CAMUS, (Jean-Pierre) né à Paris en 1582, d'une famille noble, nommé à l'évêché de Belley dès l'âge de 26 ans, fut sacré dans sa cathédrale par Saint François de Sales. Il se rendit digne de l'amitié de ce saint, par l'usage de ses talens & par l'ardeur de son zèle. Il instruisit son peuple, le soulagea, combatit les hérétiques, en convertit plusieurs, s'éleva contre tous les abus, & quelquefois avec plus de vivacité que de prudence. L'oisiveté & la mollesse, dans lesquelles certains moines paroissoient croupir, le mettoient de mauvaise humeur. En faisant allusion à leur gourmandise & à leurs révérences, il les comparoit à des cruches qui se baissent pour se remplir; & il leur déclara dans la chaire & dans le cabinet, une guerre un peu trop acharnée. On vit paroitre successivement plusieurs ouvrages contre eux: Le Directeur désintéressé, la Désappropriation claustrale, le Rabat-joie du triomphe monacal; les Deux Hermites, le Reclus & l'Instable, l'Antimoine bien préparé, 1632, in-8°, très-rare, &c. &c. L'Apocalypse de Meliton, que Voltaire lui a attribué, 1668, in-12, est l'abrégé de son Traité de l'ouvrage des Moines, 1633, in-8° Elle est d'un Minime apostat, nommé PITHOIS: Voyez ce mot.

Il fallut que les religieux employassent le cardinal de Richelieu pour calmer l'animosité de Camus. Il lui fit des représentations amicales sur cette multitude d'ouvrages, dont les titres blessoient le bon goût autant que la charité. Je ne vous connois, lui dit Richelieu, d'autre défaut, que cet acharnement contre les Moines; & sans cela je vous canoniserois. - Plût à Dieu! lui répondit avec vivacité Camus. Nous aurions l'un & l'autre ce que nous souhaitons: vous seriez Pape, & moi Saint. Le pieux & ardent évêque, après avoir travaillé pendant vingt ans au salut de son peuple, se démit de sa dignité pour ne plus penser qu'au sien propre. Il mourut à l'hôpital des Incurables le 26 avril 1652, à 70 ans. Il avoit refusé deux évêchés considérables, Arras & Amiens. La petite femme que j'ai épousée, disoit-il par un jeu de mots ridicule, est assez belle pour un Camus.

Ce prélat avoit beaucoup d'esprit & d'imagination dans un corps très-mortifié. Cette imagination perce dans tous ses ouvrages, écrits avec une facilité merveilleuse; mais d'un style moitié moral, moitié burlesque, formé de métaphores singulières & d'images gigantesques, d'ailleurs lâche, diffus & incorrect. Il prêchoit comme il écrivoit, & peut-être plus singulièrement encore. Nicéron rapporte quelques traits de ses discours, que nous allons rapporter.

Dans un sermon qu'il faisoit aux Cordeliers le jour de S. François; Mes Pères, leur disoit-il, admirez la grandeur de votre Saint; ses miracles passent ceux du Fils de Dieu. Jésus-Christ avec cinq pains & trois poissons ne nourrit que cinq mille hommes, une fois en sa vie: et S. François avec une aune de toile nourrit tous les jours, par un miracle perpétuel, quarante mille fainéans. Prêchant dans l'assemblée des trois États du royaume, le premier dimanche de l'Avent 1614, un sermon qu'il a fait imprimer, il parla ainsi: Qu'eussent dit nos pères, de voir passer les offices de judicature à des femmes & à des enfans au berceau? Que reste-t-il plus, sinon comme cet Empereur ancien, d'admettre des chevaux au Sénat? Et pourquoi non, puisque tant d'ânes y ont entrée?

Il n'aimoit pas les Saints nouveaux, & disoit un jour en chaire sur ce sujet: Je donnerois cent de nos Saints nouveaux pour un ancien. Il n'est chasse que de vieux chiens. Il n'est châsse que de vieux Saints. — Il se plaisoit fort à faire des allusions, quelque mauvaises qu'elles fussent. Parlant un jour des couvens, il disoit: Dans les anciens monastères, on voyait de grands moines, de vénérables religieux; à présent, illi passeres nidificabunt: l'on n'y voit plus que des moineaux. — Il disoit dans le même goût, qu'après leur mort, les Papes devenoient des papillons, les Sires des cirons, & les Rois des roitelets. — Ce qu'il dit un jour à Notre-Dame, avant de commencer son sermon, est plus spirituel: Messieurs, on recommande à vos charités une demoiselle qui n'a pas assez de bien pour faire voeu de pauvreté. Il comparait les Evêchés à des bâillons, parce que ceux qui les obtenoient, devenoient ordinairement paresseux, & cessoient de prêcher. On lui vantoit un homme qui étoit tout à la fois musicien, poète, peintre & astrologue; il répondit, que c'étoit un fou à quatre parties. On voit par ces citations, que Camus fut le Bièvre de son siècle.

Outre les ouvrages cités plus haut, on a de lui:
I. Plusieurs volumes d'Homélies,
II. Dix volumes de Diversités,
III. Des Romans pieux, Dorothée, Alcime, Daphnide, Hyacinthe. Carpie, Spiridion, Alexis. Son siècle avoit encore, plus que le nôtre, le goût frivole & dangereux des lectures romanesques. Il crut que, pour guérir les malades, il falloir déguiser les remèdes. Il se mit à écrire cette foule d'historiettes, où les leçons de la vertu étoient ornées des charmes de la fable, & où le lecteur trouvoit à se distraire, sans se pervertir. Ce fut François de Sales qui lui donna le conseil de faire des Romans pieux; mais il en abusa. Ses productions romanesques & sans goût font tout ce qu'on peut lire de plus ennuyeux, du moins aujourdhui que ce genre a été traité par de bonnes plumes.

On a plus de deux cents volumes de cet infatigable écrivain. Les seuls qu'on trouve à présent dans les bibliothèques choisies, sont: L'Esprit de Saint François de Sales, en six volumes in-8°, réduits en un seul par un docteur de Sorbonne; & L'Avoisinement des Protestans vers l'Eglise Romaine, publiée par Richard Simon en 1703, avec des remarques, sous ce titre: Moyens de réunir les Protestans avec l'Eglise Romaine. « L'auteur y détruit, dit Niceron, la fausse idée que les deux partis se forment l'un de l'autre, & les rapproche en faisant voir qu'il n'y a pas entre leurs sentimens bien expliqués, tant de différence qu'on s'imagine ordinairement. » Il étoit surpris que les Catholiques parlant de l'Ecriture Sainte comme d'un livre qui a besoin d'interprètes, du moins pour les simples, ne l'expliquassent que rarement dans leurs livres, & que les Protestans qui la trouvent claire comme le jour, se tuassent à l'expliquer.

CAMUS définissait la politique: Ars non tam regendi quam fallendi homines [Art de tromper les hommes plus que de les gouverner]. »

L'attention de Hugo sur ce personnage singulier, qu'il apparente lui-même à son Mgr Myriel, a pu être attirée par quelques notes du Port-Royal de Sainte-Beuve et, plus vraisemblablement, par deux développements importants que lui consacre Voltaire dans son Dictionnaire philosophique, où les bons mots cités de Mgr Camus sont encore plus réjouissants, et moins décents, que ceux retenus par Chaudon et Delandine. Signalons que le Dictionnaire de Moreri, parfaitement orthodoxe, efface toutes les originalités de ce saint homme.